Éric Zemmour dans Valeurs actuelles
Entretien d'Éric Zemmour à Valeurs actuelles - Octobre 2025
Retrouver l’âme chrétienne de la France
Dans son entretien à Valeurs actuelles, Éric Zemmour dresse le portrait d’une France déboussolée, semblable à celle de la IVe République : instable, molle, paralysée par des coalitions centristes sans convictions, gouvernée par une élite qui ne croit plus en rien.
Cette élite, dit-il, est le fruit direct de l’effondrement de l’école républicaine. “Nous sommes gouvernés par des cancres qui parlent à des cancres”, cite-t-il de Philippe de Villiers. C’est le constat d’un pays qui a renoncé à former des esprits libres, cultivés et patriotes. C’est aussi le cœur du combat de Reconquête ! : rétablir l’école du mérite, rendre à la jeunesse française le goût de la transmission et de l’excellence, seules garanties de la liberté.
Pour Éric Zemmour, les fractures identitaires ne sont pas une invention des polémistes, mais une réalité vécue par les jeunes générations. Les juifs et les chrétiens de France se retrouvent désormais face à une jeunesse musulmane qui affirme son identité avec vigueur, parfois avec agressivité. Face à cela, une question simple mais essentielle refait surface : qui sommes-nous ? Et la réponse, pour Zemmour, ne se trouve ni dans le technocratisme glacial du macronisme, ni dans l’islamo-gauchisme militant de Mélenchon, mais dans le retour à nos racines chrétiennes.
Le chef de Reconquête ! oppose à Emmanuel Macron un saint-simonisme technocratique, celui d’un pouvoir sans âme qui “administre des choses” au lieu de gouverner des hommes. Quant à La France insoumise, il la voit comme la résurgence du “parti de l’étranger” : celui qui, dans les moments de crise, se tourne toujours contre la France au nom d’un universalisme abstrait.
Dans son dernier livre, né d’un article commandé par une revue américaine, Zemmour défend l’idée que la survie du christianisme en Europe passe par une alliance entre juifs et chrétiens. Alliance qu’il a vue émerger dans sa propre campagne, et qui traduit un même instinct de survie : celui de peuples enracinés face à un monde qui se dissout dans le relativisme et la culpabilité.
L’Il reconnaît lui-même avoir évolué : jadis séduit par l’aspect politique du catholicisme à la Maurras, il dit avoir redécouvert la puissance spirituelle et culturelle du christianisme. C’est l’Église, rappelle-t-il, qui a forgé tout ce que la France a de plus beau : son art, sa musique, son architecture, son droit, son idée même de l’homme libre.
Et de conclure que la bataille du XXIe siècle sera celle des civilisations. Face à des puissances islamiques, chinoises ou indiennes décidées à prendre leur revanche sur l’Occident, l’Europe ne survivra que si elle retrouve la conscience de ce qu’elle est. “Sans le christianisme, la France ne serait plus la France”, dit-il. Tout est là. Il ne s’agit pas de convertir, mais de se souvenir. De comprendre que la foi peut s’éteindre, mais que l’identité doit se défendre.
Valeurs actuelles. À quel moment de notre histoire pouvons-nous comparer la situation politique actuelle ?
Éric Zemmour. Cet exercice est délicat, car si “l’histoire se répète”, elle ne le fait jamais de la même façon. De surcroît, notre époque peut se référer à des modèles divers.
Si vous évoquez la politique française, nous sommes dans une situation qui ressemble beaucoup à la IVe République. Instabilité gouvernementale et coalitions centristes au pouvoir qui ne maîtrisent plus rien et ne décident plus rien.
Si vous pensez aux questions internationales, nous sommes revenus au XIXe siècle, avec un affrontement entre une puissance impériale maritime (le Royaume-Uni hier, les États-Unis aujourd’hui) et une puissance impériale continentale en plein essor industriel qui menace les positions commerciales et géostratégiques de la puissance maritime (l’Allemagne hier, la Chine aujourd’hui) avec comme seule différence – mais non négligeable – que les empires d’aujourd’hui possèdent des bombes atomiques, ce qui les retient sur le chemin qui mènerait à une guerre du type de celle de 1914-1918.
Enfin, si vous prenez le destin de notre pays et du continent européen, nous sommes plongés dans un retour aux “grandes invasions” qui ont ravagé l’Europe après la chute de l’Empire romain, ou encore aux prémices des guerres de Religion qui ont ensanglanté la France et l’Europe aux XVIe et XVIIe siècles.
« Aujourd’hui, nous sommes gouvernés par des cancres qui parlent à des cancres, et qui ont été formés par des cancres », explique Philippe de Villiers dans les colonnes du Journal du dimanche. La déliquescence française s’explique-t-elle aussi, et surtout, par l’affaissement de nos élites ?
Il y a incontestablement une baisse de niveau qui touche toutes les professions et qui est due à l’effondrement de l’école. C’est pourquoi nous insistons beaucoup, à Reconquête !, sur l’indispensable retour aux fondamentaux de l’école française. C’est pourquoi nous avons créé Parents vigilants. Rien ne se fera sans le retour de l’école du mérite et de l’excellence. Les jeunesses juive et chrétienne sont confrontées à une jeunesse musulmane qui affirme sa religion, qui est d’abord une identité.
Vous évoquez dans votre livre l’identité chrétienne de la France. Le retour du christianisme pourra-t-il se faire entre un macronisme faussement messianique et un mélenchonisme islamo-gauchiste ?
Le macronisme n’est nullement un messianisme, plutôt une resucée d’un saint-simonisme technocratique qui avait déjà comme maître mot, au XIXe siècle : « Il faut passer du gouvernement des hommes à l’administration des choses. » Mais ce saint-simonisme, qui était encore adapté aux années d’après-guerre de croissance économique forte et d’État providence, est inadapté quand les temps redeviennent tragiques, quand les questions majeures redeviennent identitaires et civilisationnelles.
Quant à l’islamo-gauchisme de La France insoumise, il réinvente une figure traditionnelle de notre histoire qui est le “parti de l’étranger” : de l’évêque Cauchon, qui livra Jeanne d’Arc aux Anglais et au bûcher, jusqu’aux collabos de la Seconde Guerre mondiale en passant par les protestants qui appelaient à l’aide la marine anglaise pour combattre le roi et les catholiques, ou encore les aristocrates qui combattaient dans les armées ennemies de Napoléon, à chaque fois que la France est attaquée, envahie, occupée, il y a des Français qui s’allient à ces puissances étrangères contre d’autres Français.
Mon projet avec Reconquête ! est justement de rassembler tous les Français, chrétiens, juifs, mais aussi ceux venus d’autres horizons, qui veulent que la France reste la France, c’est-à-dire d’identité chrétienne.
Ce lien entre le christianisme et le judaïsme, vous l’avez aussi aperçu pendant votre campagne présidentielle. Les effectifs de Reconquête ! étaient souvent issus de ces deux terreaux. L’idée de ce livre est-elle venue de là ?
Ce livre est né d’un article que m’a commandé une prestigieuse revue américaine, qui me demandait de répondre à cette question : “Comment sauver le christianisme en Europe ?” Je me suis rendu compte en l’écrivant que cela méritait davantage qu’un article.
Mais, justement, en écrivant, je me suis aperçu que l’alliance que je défendais conceptuellement s’était déjà en partie concrétisée dans ma campagne, mon électorat et ma jeunesse militante. Ce n’était pas évident au vu de l’histoire très ancienne des deux religions, mais aussi de l’histoire récente : la République, en effet, pour se maintenir au pouvoir, a coalisé les minorités juive et protestante autour d’une idéologie des droits de l’homme, contre une majorité catholique, présentée à la fois comme ringarde et liberticide.
Toutes les luttes politiques de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle ont ce soubassement religieux, ce qui explique leur férocité. Comme disait André Siegfried, l’inventeur de la science politique, « quand le facteur religieux entre en ligne de compte dans les luttes politiques, il prend le pas sur toutes autres considérations, économiques et sociales » . On croyait être sorti définitivement de ces âpres batailles, mais la folie de nos dirigeants, depuis quarante ans, nous les ramène avec les millions de musulmans qui apportent dans leurs bagages leurs mœurs, leurs traditions, leurs héros et leurs ressentiments historiques contre leurs anciens colonisateurs, leur mépris pour les “infidèles”, juifs et chrétiens.
Les jeunesses juive et chrétienne sont confrontées à une jeunesse musulmane qui affirme, avec ostentation, voire agressivité, et même parfois une grande violence, sa religion, qui est d’abord une identité. Ça les pousse à se poser des questions auxquelles leurs parents ne les avaient pas habitués et ne leur avaient pas donné de réponse : qui suis je ? Quelle est mon identité ? Mon peuple ? Quel est mon Dieu, quelle est ma foi ? En quoi est-ce que je crois ? Qu’est-ce qui est interdit et autorisé ?
Par ailleurs, la violence de certains jeunes musulmans, des vols aux viols, du trafic de drogue aux crimes, ce que j’ai appelé le « djihad du quotidien », les rend aussi solidaires, car ils en sont le plus souvent les premières victimes. La question, qui a occupé notre génération depuis les années 1980, du lien entre immigration et délinquance n’est plus un sujet de débat pour eux ; ils sont passés à la question d’après : comment on s’en défend ? Comment on s’en protège ?
Pour résister à cette guerre des civilisations qui lui est menée sur tous les plans, l’homme occidental doit se replier sur son identité, et cette identité est fondée sur le christianisme
En vous lisant, on est surpris par votre connaissance de la théologie chrétienne. Vous vous opposez à la vision politique et sociale du christianisme de Maurras. Vous qui n’êtes pas chrétien, qu’est-ce qui vous a poussé à aller au-delà de sa simple dimension politique ?
Ma connaissance de la théologie chrétienne est fort lacunaire, mais l’histoire des religions m’a toujours passionné. Par ailleurs, j’ai compris au fil des années que tout ce que j’aimais dans la culture française : littérature, peinture, musique, architecture, avait une origine chrétienne. Je conteste la vision politique et sociale du christianisme de Maurras avec d’autant plus d’ardeur que je suis longtemps tombé dans la même erreur.
De même, Maurras a longtemps confondu le judaïsme avec l’idéologie individualiste et cosmopolite des juifs de gauche qui s’opposaient à lui dans le Paris du XIXe siècle. En vérité, et on s’en aperçoit aujourd’hui avec Israël, le judaïsme s’était ordonné à l’origine autour d’un triptyque : “un peuple, une terre, une loi”, qui était très proche de « la terre et les morts » de son ami Barrès.
En 2018, vous aviez affirmé être « pour l’Église et contre le Christ » ; vous êtes revenu dans cet ouvrage sur cette maladresse. Quelle était votre intention ?
J’ai eu 20 ans à une époque – les années 1970 -où le Christ était présenté comme un hippie aux cheveux longs qui grattait de la guitare pour sa bande de copains. L’Église, au contraire, était dénoncée comme un carcan poussiéreux, intolérant et dogmatique.
En vieillissant, cette vision m’a exaspéré quand j’ai compris que c’était justement l’Église qui avait apporté toutes les merveilles culturelles dont je me régalais sans me lasser – églises, vitraux, peinture, musique, littérature, mais aussi droit, État, école, soin aux plus faibles, conception de l’individu libre qui s’émancipait des clans et des tribus.
J’ai voulu redresser la barre dans l’autre sens, mais je l’ai fait de manière trop schématique. Je constate sur Twitter qu’il y en a qui ne se lassent pas de se servir de ma maladresse pour tenter de délégitimer tout ce que je dis sur le christianisme. En revenant là-dessus dans le livre, je voulais éclairer les gens de bonne foi, et ils sont de loin les plus nombreux.
Vous notez, en fin d’ouvrage, le réveil du catholicisme chez les jeunes. Vous rappelez le mot de Malraux définissant une civilisation comme « ce qui s’agrège autour d’une religion ». En d’autres termes, le retour du christianisme peut-il, à lui seul, sauver la France ?
Le christianisme a été une transgression inouïe dans l’histoire, car elle fut la première religion à reposer sur la foi (en Jésus-Christ) et non pas, comme tous les paganismes du passé mais aussi les autres monothéismes, sur une pratique religieuse adossée à un corpus juridique et contrôlé et surveillée par la communauté des fidèles. Cette révolution anthropologique a forgé un individu, « roseau pensant » qui prie dans l’intimité de son cœur et s’interroge dans le secret de sa conscience.
Cet individu libre et plein de foi a conquis le monde à l’aide des outils techniques – bateau, boussole, canons, chemins de fer, etc. – que son génie scientifique a inventés. Mais cette unification du monde et cette ancienne domination lui ont fait des ennemis mortels : les autres civilisations, chinoise, islamique, indienne, etc. – qu’il a asservies et qui veulent désormais leur revanche.
Cette guerre des civilisations, annoncée par Samuel Huntington, est selon moi la trame du XXIe siècle. Pour résister à cette guerre qui lui est menée sur tous les plans, l’homme occidental doit se replier sur son identité, et cette identité est fondée sur le christianisme. S’il a la foi de surcroît, c’est magnifique ; mais aucun homme, aucun État, aucune politique ne peuvent inoculer cette foi dans les veines de chacun des individus. Ce qui était la force du christianisme est devenu sa faiblesse.
Mais le christianisme n’est pas seulement une foi, il est aussi une identité. Nous ne pouvons pas inoculer la foi puisque c’est un processus individuel, un lien personnel avec la divinité. En revanche, nous pouvons défendre l’identité chrétienne de notre pays et de l’Europe.
L’Église a façonné la France et l’Europe. Sans le christianisme, la France ne serait plus la France. Et je veux continuer à vivre en France.
La messe n’est pas dite, d’Éric Zemmour, Fayard, 128 pages, 10 €.
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